Eugénie Brazier

Figure emblématique parmi les « mères » lyonnaises, Eugénie Brazier incarne depuis toujours la cuisine gastronomique lyonnaise. Fine cuisinière, ses recettes ont marqué de nombreux esprits parmi les personnalités qui venaient goûter à ses plats d’exception. Avec ses étoiles, elle s’est imposée parmi les plus grands talents de la cuisine gastronomique.

Comment une fille de ferme, est-elle devenue la Sainte des Gastronomes selon Curnonsky, la première cuisinière à obtenir trois étoiles au Guide Michelin dans chacun de ses deux restaurants et à connaître une renommée internationale ?

 

De l’enfance à ses débuts de cuisinière

 

Née le 12 juin 1895 à La Tranclière à six kilomètres au sud de Bourg-en-Bresse dans une famille de paysans bressans, Eugénie Brazier est en effet la plus célèbre parmi la trentaine de cuisinières que leurs clients appelaient « mère » à Lyon et alentour, au 19ème siècle et dans la première moitié du 20ème siècle. Ce qualificatif affectueux fut donné, la première fois en 1759 à la Mère Guy qui tenait une guinguette sur les bords du Rhône dont la spécialité était une matelote d’anguille. L’histoire des mères aurait pu être racontée par Hector Malot, l’auteur de « Sans Famille ».

 

Une petite fille de la campagne, une enfance à la va-comme-je-te-pousse, une paire de souliers pour unique cadeau de première communion, le certificat d’étude rarement. « J’allais à l’école , par hasard, seulement l’hiver et lorsqu’il n’y avait pas de travail à la maison » dira joliment Eugénie. A la mort de sa mère, à dix ans, elle est placée dans une ferme par l’Assistance publique, garde d’abord les vaches et donne à manger aux cochons.

 

Pas dégrossie la petite, mais fine et intelligente. Les photos de ce temps montrent un visage où se mêle la beauté juvénile, et une froide détermination. A dix-neuf ans, la naissance de Gaston, son fils qu’elle place en nourrice, la brouille avec son père et la contraint à chercher du travail comme bonne à tout faire dans une riche famille lyonnaise, les Milliat, fabricants de pâtes. Là, une vieille cuisinière lui transmet les rudiments de la cuisine, qu’elle met en pratique chez ses patrons en les suivant, à Cannes, pendant deux années de guerre.

 

On lui a imposé ce travail, eh bien, elle ira jusqu’au bout. Elle apprend la cuisine, « en faisant la cuisine ». Les Milliat sont des habitués de la Mère Fillioux, rue Duquesne à Lyon, qui engage Eugénie, obligée de subvenir aux frais de garde de son fils. Elle poursuit donc son apprentissage. 

Le travail comme ligne de conduite, la créativité en ligne de mire

 

Aujourd’hui, à considérer une silhouette de personne de poids, et de renom, qui dira l’énergie farouche, les rebuffades de l’apprentissage, les émois de l’adolescence réprimés : « Le travail, encore le travail. » Le tour de main acquis : « En ce temps-là, monsieur ! on volait son métier. » Le secret de la Sauce Soubise n’était pas donné, il était à prendre. Sa première satisfaction fut d’être la première employée a avoir le droit de brider les volailles à la place de la Mère Fillioux. Bientôt la poularde demi-deuil et la préparation des quenelles n’eurent plus de secret pour elle. La voici une fois la paix revenue, mieux payée, à la Brasserie du Dragon, maison de bonne réputation.

 

La grande affaire, c’était d’avoir une maison à soi. Elle s’installe dans une épicerie-buvette sans âge, quelques chaises empruntées, et une arrière-cuisine où se concoctera bientôt la mirifique poularde demi-deuil. Voilà comment tout à commencé. Elle a connu ce va-et-vient industrieux, qui épouse le rythme de la vie ouvrière dans son apparent travail d’abeille pour l’unique plaisir du gourmet, sans autre but et sans fin, sinon celui d’arriver à la perfection du geste.

L’art de s’imposer parmi les grands

 

Cet effort chez les Mères, allait de pair avec une certaine bonhomie. Chez la Mère Fillioux, une ardoise au dessus du comptoir précisait : « Ceux qui ont l’habitude de chanter après le repas, sont priés de ne pas monter sur les tables. » Sur le chariot avec lequel la Mère Léa fait ses courses au marché Saint-Antoine, une pancarte signale : « Attention, faible femme, mais forte gueule. »

 

En cuisine, Eugénie Brazier, autoritaire, donne régulièrement de la voix. Au menu de l’ouverture, le dimanche 19 avril 1921, au 12, de la rue Royale Lyon 1er : langouste mayonnaise et pigeon aux petits pois et carottes. La salle est vide au déjeuner, complète (15 couverts) le soir. Pari gagné. Le bouche à oreille, peu à peu, fera le reste. Son bon génie fut Edouard Herriot, maire de Lyon, qui la convoquait à domicile pour ordonner ses repas. Il faut lire l’irremplaçable « Secrets de la Mère Brazier » (1), dont la naïveté touchante émeut autant que « Un coeur simple » de Gustave Flaubert. La notoriété de la Mère Brazier, célébrée par Curnonsky, prince élu des gastronomes qui loue la « perfection simple », grandit au point qu’elle ouvre une seconde salle et deux petits salons au premier étage, rue Royale, car elle est en quelques années la table la plus courue de Lyon.

 

En 1928, fatiguée, à la recherche du bon air, elle ouvre par intermittence une annexe dans un modeste chalet au Col de la Luère, à une vingtaine de kilomètres de Lyon, d’abord pour les amis, puis les habitués, chaque week-end à la belle saison et durant les vacances. En 1932, le Guide Michelin accorde deux étoiles à chaque établissement, et trois macarons l’année suivante. Du jamais vu ! Le succès de la Mère Brazier tient autant à son énergie, à son souci du détail, son obsession de la propreté qu’à l’extrême qualité des produits qu’elle met en œuvre. Ses principales recettes inspirées de celles de la Mère Fillioux font alors la tour du monde gastronomique : le fond d’artichaut au foie gras, la quenelle au gratin, le gâteau de foie de volaille et de lapin, la langouste Belle Aurore, le gratin de macaronis, l’admirable volaille de Bresse demi-deuil et petits légumes, la galette et le chabraninof (pommes confites et flambées).

 

Au lendemain de la guerre, son fils Gaston dirige l’établissement de la rue Royale, pendant que la Mère reste au Col de la Luère. C’est la que Paul Bocuse, dès 1946, peaufinera son apprentissage et plus tard Bernard Pacaud. En 1951, après le silence du Michelin pendant la guerre, la Mère Brazier retrouvera ses trois étoiles de l’avant-guerre, en perdra une en 1960, car elle envisage de prendre sa retraite. Elle décide alors de se remettre au travail et, dès 1963, retrouve le premier rang jusqu’en 1968. Les deux étoiles seront conservées jusqu’en mars 1974, année du décès de son fils qu’elle suivra le 4 mars 1977, atteinte d’un cancer.

 

En reprenant La Mère Brazier en 2008, le chef Mathieu Viannay a choisi d’en conserver plusieurs recettes emblématiques tout en réexaminant certains procédés par touches délicates et subtiles, au diapason des délices de la haute gastronomie actuelle.

 

(1) Les secrets de la Mère Brazier. Préface de Paul Bocuse avec la collaboration de Roger Moreau. Solar 1992.

RESTAURANT LA MÈRE BRAZIER

12 RUE ROYALE, 69001 LYON - 04 78 23 17 20

Mathieu Viannay s’active aux fourneaux du restaurant de la Mère Brazier depuis 2008. Il choisit d’en conserver quelques recettes emblématiques en y apportant ainsi par touches subtiles les délices de la haute gastronomie d'aujourd'hui ; il crée également ses propres plats dans l'esprit unique de la tradition contemporaine.

RÉSERVER UNE TABLE

L’Épicerie Comptoir Mère Brazier

53 RUE DE SAINT CYR – 69009 LYON

Ouverture :
du lundi au vendredi de 8h à 15h et de 16h à 19h30, le samedi de 8h à 19h, le dimanche de 8h à 13h.

+33(0) 4 72 20 05 05

46 COURS FRANKLIN ROOSEVELT – 69006 Lyon

Ouverture :
du lundi au samedi de 9h à 19h30

+33(0) 4 26 78 78 25